Notes arlésiennes, 2022

Claude-André Farigoule : « Buste d’Arlésienne », 1924 (musée Réattu, Arles)

En juillet, les rues d’Arles consacrent le port du bermuda et de la sandale pour les hommes, la robe chemise, droite ou longue pour les femmes, ici assortie de sandales à bride ou spartiates, avec ou sans talon. La semaine d’ouverture des Rencontres voit cette tenue vestimentaire complétée par un accessoire de type appareil photo, négligemment porté en bandoulière ou sur le ventre. En bandoulière, le modèle digital et plutôt réflex ; sur le ventre, le modèle digital de luxe à télémètre ou le modèle analogique bi-objectif. On remarque rapidement le port fréquent du petit sac à dos noir dont on extrait avec dextérité l’ordinateur portable qui permettra de montrer quelques images à un expert, reconnu ou autoproclamé, auprès duquel on pourra glaner quelques conseils pour, un jour à n’en pas douter, prendre sa place. En juillet, pendant la semaine d’ouverture des Rencontres, dans les rues d’Arles, on parle anglais (énormément), italien (souvent), espagnol, allemand (parfois), et on y chuchote en japonais.

Côté « pile », Arles et ses Rencontres 2022, qui retrouvent leurs espaces d’exposition et leur programme digne d’un statut international incontesté ; la fréquentation des expositions aurait retrouvé cette année son niveau de 2019 et Christoph Wiesner, directeur des Rencontres depuis 2020, pouvait à l’issue de la semaine d’ouverture retrouver le sourire. Côté « face », le « off » des Rencontres, c’est-à-dire la centaine d’expositions proposées par Arles Exposition ; le off, c’est la photographie qui investit les galeries d’art et les arrière-cours improbables, c’est l’évidence de la rencontre et du tutoiement naturel entre pairs. Sur la « tranche », Arles et ses 50000 habitants confrontés aux difficultés des temps, aux drames et aux inquiétudes. Le paradoxe est aussi flagrant que banal : au milieu de cette semaine d’ouverture des Rencontres, le vent du nord aura préservé les festivaliers des moustiques et des odeurs d’incendies, on n’aura rien su d’une balle perdue et du décès d’un môme de seize ans, et à peine aura-t-on remarqué le manque de personnel dans les restaurants qui étalent leurs terrasses sous les ombrages.

Joyeuse promenade entre un couloir couvert d’images de sources néo-zélandaises (off) et les Ateliers bruissant des avant-gardes féministes (in), encouragée par un thiou curry chaleureux ou un inspirant foie de veau persillé, immersion dans la photographie vue sous le prisme arlésien…

L’enthousiasme ne préserve pas des choses qui fâchent…

La tour Luma n’est pas assez haute pour servir de repère au touriste en goguette, mais se trouve assez éloignée de la vieille ville pour ne pas remplir son rôle de verrue architecturale incongrue ; pour les curieux qui veulent avoir une vision un peu éclairée sur la question, je renvoie à L’Arlésienne.

Depuis toujours, les expositions de photographie à Arles ont investi les lieux les plus divers, du plus humble au plus prestigieux. Il en est un, situé au carrefour de la croisière (donc opportunément nommé… Croisière), que j’ai traversé au pas de charge. J’aurais aimé m’attarder devant le travail de Fontcuberta et Rosado, de Celada. Mais le dédale du lieu, baignant dans une agressive odeur de pisse tiède, m’en a dissuadé.

Agacement devant « Lët’z Arles-Romain Urhausen en son temps » (Espace Van Gogh). La fiche de l’exposition indique : « Cette vision [de Urhausen] est mise en évidence dans l’exposition, qui fait dialoguer les photographies de l’auteur avec celles de ses pairs, en créant de nouvelles « affinités électives ». » Affinités électives avec Otto Steinert, Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau, dont les photographies écrasent littéralement celles de Urhausen, dans une scénographie déroutante desservie par des cartouches mal placés.

Le doute technique pendant la visite de « Lee Miller-Photographe professionnelle, 1932-1945 ». L’exposition a vocation à rétablir (s’il en est besoin) la place de Miller et de son travail dans l’histoire de la photographie et, en cohérence avec « Une avant-garde féministe-Photographies et performances des années 1970 de la collection Verbund, Vienne » (Mécanique générale), à présenter le parcours professionnel d’une femme éprise de liberté au milieu du XXe siècle. On s’y est attaché à donner aux « prints » extraits des archives de la photographe un ton jaunâtre, certes discret et en harmonie avec les parutions d’époque, mais peu en rapport avec la réalité technique originale (ton neutre des épreuves destinées à la presse).

Et puis… Les moments délicieux…

L’avantage, avec Lukas Hoffmann (Monoprix), c’est qu’on n’a pas besoin de se creuser la cervelle. Devant les séries de photographies (polyptiques), on est saisi par la clarté de l’expression ; tout semble évident : le projet, le sens, le choix de la forme. Le plaisir intellectuel et le plaisir visuel viennent ensemble. Alors, on se prend à envier Hoffmann, à regretter de n’avoir pas ses qualités de prévisualisation, sa science du tirage, sa limpidité, sa précision. Et on sort de là plein d’espoirs et d’envies d’images…

L’accrochage des photographies y est un peu fait de bric et de broc, il y a cette fichue poussière de la cour de l’Archevêché, mais on s’y sent « comme à la maison ». Les photographes de l’agence MYOP présentent ici leurs travaux en cours. C’est un peu un concentré de vie photographique, absent de tous les programmes que j’ai épluchés, d’où émane des conversations surprises et des images présentées une vitalité réconfortante.

Arrêt impromptu à la Galerie Art-Z, où les petites épreuves et les chemises de tirages de Malick Sidibé nous rappellent les plus profondes raisons pour lesquelles nous faisons tous des photographies.

À la galerie Olivier Bijon, petit bavardage autour des autoportraits de Roger Vulliez, réalisés dans les années 70. Il paraît que ces nus à l’humour un peu acide, regard critique sur l’intimité photographique, auraient aujourd’hui la capacité de « choquer » certains visiteurs. Pressés de quitter ce lieu, ceux-ci n’auront pas eu le temps de percevoir les questions que posait alors Vulliez : que nous impose le cadre ? Qu’est-ce que l’autocensure en photographie ? Comment identifier et utiliser nos influences ? Certaines des photographies exposées m’étaient inconnues, et j’ai revu les autres avec émotion.

C’est après un petit déjeuner tardif, pris en terrasse place du Forum, que je passe un moment avec Bernard Minier et Thierry Valencin. Nous parlons de la « belle ouvrage », et d’outils de laboratoire que (presque) plus personne ne connaît. Sentiment diffus d’avoir pris un sacré coup de vieux et de ne pas être seul à aimer le délicat mélange des odeurs d’hyposulfite et de tabac froid. Plus tard, la conversation se poursuivra avec un ancien de Louis Lumière, et notre aimable babillage continuera longtemps, en présence de Michel Godeau et de ses photographies.

Enfin, les trucs pour réfléchir…

Je me réserve un peu de temps pour « digérer » les propos tenus à « Vous êtes ici … ou pas? Recherche, enseignement et création » à l’ENSP, et certaines expositions de cette édition des Rencontres m’ont laissé un peu… perplexe. M’est revenu en mémoire l’intitulé du colloque qui s’est déroulé en 2015 au Centre Pompidou : «Où en sont les théories de la photographie?». La question reste posée.

4 réflexions sur « Notes arlésiennes, 2022 »

  1. Ces grandes heures à vous écouter, à tenter de comprendre, à réfléchir sont un grand manque monsieur Jean mais vous lire devient plaisir. Merci, merci pour hier, merci pour ce petit bout de lecture aujourd’hui et par avance merci pour vos partages de demain.

  2. Je retrouve avec plaisir ton phrasé si élégant. Je n’avais pas pris le temps de lire à chaud ton article et finalement c’est bien, car là, vois-tu, je viens de sillonner la cité arlésienne ce qui, en ce jour de rentrée, m’offre une échappée inestimable !

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