IA, version « comptoir », 2e tournée

L’évolution rapide des capacités opérationnelles de l’intelligence artificielle a ouvert deux voies principales (parmi d’autres) au créateur d’images photographiques : la possibilité d’élaborer à partir de la pensée (et non à partir d’une réalité physique objectivée par la réflexion de la lumière par un objet quelconque et l’insolation corrélative d’un récepteur photosensible) une image ayant l’apparence d’une photographie, d’une part ; la possibilité de transférer à la machine la réalisation d’opérations complexes, évolutives et/ou aléatoires en fonction de la nature de la production photographique, d’autre part. Nommons les choses dans leur apparente banalité : dans les deux cas, il s’agit de produire des images-représentations (au sens restreint, c’est-à-dire en deux dimensions) stables dans le temps et l’espace, reproductibles ou imitables, et transposables. Ces images-représentations sont destinées à être perçues par la vision naturelle dans un contexte spatial et culturel différent de celui qui a présidé à leur élaboration. À l’origine de celle-ci, on trouve l’intention de susciter l’émotion esthétique, soit comme but (l’art), soit comme moyen (religion, publicité, communication, illustration), ou de provoquer un trouble lié à l’identification primaire de l’objet représenté, comme dans une certaine photographie familiale (souvenirs heureux, présence de l’absent) et dans la pratique propagandiste (manipulation des esprits à des fins politiques, par exemple). Ces intentions, qui savent se cumuler, sont réputées existantes si, à une image donnée correspond un sujet la percevant, alors qu’il n’en est ni le concepteur, ni l’artisan, ni l’émetteur. Continuer la lecture de « IA, version « comptoir », 2e tournée »

IA, version « comptoir », 1ère tournée

Version image, côté « photographie », les grands médias et leurs officines de fact-checking ont attendu la sortie de Midjourney et de DALL-E pour s’émouvoir de cette capacité donnée à n’importe quel Paganini du clavier de créer de fausses photographies plus vraies que nature. Passons sur cette mauvaise foi consternante ou sur cette crasse méconnaissance de l’univers de la photographie, où l’on s’intéresse au problème depuis les débuts de l’URSS, et encore davantage depuis que les plasticiens maîtrisent les technologies numériques et explorent les ressources des flux d’images. Je dis « passons » parce que le sujet fera l’objet d’une deuxième tournée.

Version conversationnelle, côté « chat », le truc fait frissonner les enseignants, et la directrice de la formation initiale de Sciences Po Paris en a même dégainé son stylo quatre couleurs à interdictions (elle n’est pas la seule). Les collégiens, lycéens et étudiants atteints d’hypertrichose palmaire ou de narcolepsie neuronale y voient une possibilité d’améliorer la maîtrise de leur emploi du temps, et on pense déjà ici ou là à fermer des formations de la filière tertiaire « support à l’action managériale ». Certains « testeurs » (journalistes pointus, universitaires) du bidule mis en ligne par la firme OpenAI depuis la fin de 2022 (ChatGPT, prononcer « tchatjipiti » pour paraître informé) ont mis le doigt sur tout un tas de problèmes (réponses fausses ou tirées par les cheveux, propositions d’informations erronées, capacité à générer des contenus trompeurs, j’en passe). Parmi les plus tatillons, les italiens se sont révélés plutôt taquins vis-à-vis de la firme susnommée, du genre : « Tu respectes le RGPD, sinon je te taxe de 40 millions ». Il y a belle lurette que les informaticiens (ceux qui sont devenus riches, pas ton réparateur d’en-bas-au-coin-de-la-rue) veulent sauver le monde ; il n’est donc pas surprenant que, pour mener à bien une telle mission, on ne s’embarrasse pas de quelques broutilles. Continuer la lecture de « IA, version « comptoir », 1ère tournée »

Chrystèle Lerisse et le mystère du point noir

Bon, je suis planté devant une série de photographies de Chrystèle Lerisse[1]. On a déjà beaucoup et très heureusement écrit sur l’œuvre de Lerisse, et bien mieux que je ne saurais le faire ici ; ainsi, pour le béotien campé au milieu de la foule qui se presse au vernissage (moi, donc), la photographie de Lerisse se résume ainsi : proposition standardisée au service exclusif de l’Essence. Au dehors, c’est carré, petit, argentique, monochrome noir & blanc ; en dedans, c’est l’univers en expansion sur le plancher des vaches. L’un n’existant pas sans l’autre, c’est l’expérience sensible de la non-dualité au secours de la méditation photographique.

Les photographies que Lerisse nous donne à voir, dans toute leur finesse de tons et leur netteté floue (ou l’inverse), ne sont pas exemptes de caractérisation. Bien que l’on soit ici loin de l’hypotypose, l’artiste nous prend doucement par la main pour nous aider à franchir les portes de la Nature des choses. Il n’y a pas de heurt dans les photographies de Lerisse, on y chemine sans bruit en un espace infini. Sauf que… Continuer la lecture de « Chrystèle Lerisse et le mystère du point noir »

Notes arlésiennes, 2022

Claude-André Farigoule : « Buste d’Arlésienne », 1924 (musée Réattu, Arles)

En juillet, les rues d’Arles consacrent le port du bermuda et de la sandale pour les hommes, la robe chemise, droite ou longue pour les femmes, ici assortie de sandales à bride ou spartiates, avec ou sans talon. La semaine d’ouverture des Rencontres voit cette tenue vestimentaire complétée par un accessoire de type appareil photo, négligemment porté en bandoulière ou sur le ventre. En bandoulière, le modèle digital et plutôt réflex ; sur le ventre, le modèle digital de luxe à télémètre ou le modèle analogique bi-objectif. On remarque rapidement le port fréquent du petit sac à dos noir dont on extrait avec dextérité l’ordinateur portable qui permettra de montrer quelques images à un expert, reconnu ou autoproclamé, auprès duquel on pourra glaner quelques conseils pour, un jour à n’en pas douter, prendre sa place. En juillet, pendant la semaine d’ouverture des Rencontres, dans les rues d’Arles, on parle anglais (énormément), italien (souvent), espagnol, allemand (parfois), et on y chuchote en japonais. Continuer la lecture de « Notes arlésiennes, 2022 »